Parlement: voici le discours de Cheik Sackho avant le vote du nouveau code civil

Monsieur le Président de l’Assemblée nationale ;

Honorables députés ;

Monsieur le Ministre Conseiller spécial du Président de la République chargé des relations avec les institutions républicaines et de la réforme de la Justice ;

Mesdames et messieurs les membres du Gouvernement

Mesdames et messieurs les fonctionnaires de l’Administration parlementaire ;

Mesdames et messieurs,

Je suis particulièrement ravi de prendre à présent la parole, devant cette auguste Assemblée, pour dire un mot sur le projet de loi portant révision du Code civil, soumis à l’examen des honorables députés.

Ma satisfaction est d’autant plus grande qu’elle s’inscrit à deux niveaux :

  • D’abord, parce qu’il s’agira, à l’issue des travaux de cette plénière, de doter notre pays d’un instrument moderne et de haute importance en ce qu’il va désormais régir la vie des citoyens au quotidien, tout en répondant aux attentes des populations.

Le Code civil n’est-il pas, en effet, celui qui fixe l’ensemble des règles relatives notamment aux actes de l’état civil, à la nationalité, à la jouissance des droits civils, au mariage, à la filiation, à l’adoption, à la propriété et à ses démembrements, aux régimes matrimoniaux, aux successions, aux libéralités, aux obligations et aux principaux contrats et actes usuels ?

  • Ensuite, parce que nous pourrons légitimement nous réjouir, en cas d’adoption du projet de texte par les honorables députés, d’être ceux qui auront parachevé un travail technique entamé, il y a 18 ans.

Cela dit et sans vouloir revenir sur les principales innovations du projet de texte déjà brillamment développées par Monsieur le Président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, j’articulerai mon propos autour des points ci-après :

  • Contexte général de la révision du Code civil ;
  • Contexte spécifique ;
  • Démarche stratégique ;
  • Conclusion.

 

I- Contexte général de la révision du Code civil

Je disais tantôt qu’il s’agit d’un travail technique entamé, il y a 18 ans, c’est-à-dire depuis l’an 2000. Je m’empresse, tout de suite, d’ajouter que ce travail s’est accéléré ces quatre dernières années concomitamment avec la réforme de la Justice, entreprise par le Gouvernement en exécution des recommandations issues des Etats généraux de la Justice, tenus en mars 2011.

En fait, l’organisation des Etats généraux de la Justice et l’adoption de la Politique nationale et du Plan d’actions prioritaires de réforme de la Justice 2015-2019 font écho à l’engagement souscrit par le Président de la République, le Professeur Alpha CONDE, dans son discours d’investiture du 21 décembre 2010 de construire en Guinée un Etat de droit où sont, donc, appelées à être éradiquées toutes les formes de discrimination fondées notamment sur le sexe, l’âge ou le handicap.

Ces Etats généraux avaient notamment relevé que, d’une manière générale, la législation en vigueur était disparate, discriminatoire, anachronique, obsolète et non-conforme à certaines dispositions de la Constitution et à certains engagements internationaux du pays, mais aussi comportait des vides juridiques.

L’on est, dès lors, en droit de s’interroger sur ce qui a été spécifiquement reproché au Code civil en date du 16 février 1983 actuellement en vigueur, au titre des griefs précités.

 

II- Contexte spécifique de la révision du Code civil

Les Etats généraux de la Justice, qui ont confirmé les résultats de l’atelier organisé à Dalaba en 2001 tout en les complétant, ont relevé à l’encontre du Code civil en vigueur des vides juridiques, mais aussi des dispositions qui sont en contradiction notamment avec nos us et coutumes, et parfois-même le bon sens.

Ils ont également relevé des contradictions avec certaines dispositions de la Constitution, de la Convention des Nations-Unies du 18 décembre 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), de la Convention sur les droits de l’enfant (CDE), de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966.

Il reste entendu que les conventions précitées ont été dûment ratifiées par notre pays et que, de ce fait, elles intègrent notre arsenal juridique.

Plus concrètement, les griefs ci-après ont été relevés à l’encontre du code :

  • En matière de déclaration de naissance, le code en vigueur confère seulement au père le pouvoir de déclarer la naissance de l’enfant. En outre, il ne précise pas comment l’officier de l’état civil doit-il établir l’acte de naissance d’un enfant trouvé, par exemple ;
  • En ce qui concerne le domicile, le code prévoit que le choix du domicile conjugal revient au seul mari, à l’exclusion de la femme ;
  • A propos de l’autorité exercée sur l’enfant, le code prévoit la ‘’puissance paternelle’’ et donc l’autorité du père seulement, alors qu’en pratique les père et mère assurent ensemble l’entretien, l’éducation et l’établissement de l’enfant ; ce qui correspond plutôt à ‘’l’autorité parentale’’ ;
  • En matière de mariage, le code ignore la notion de livret de famille ;
  • En ce qui concerne le mariage et l’émancipation des mineurs, le code prévoit que seul le père a le droit de donner son consentement pour le mariage ou l’émancipation de son enfant mineur, à l’exclusion de la mère ;
  • En ce qui concerne l’âge de la majorité, le code fixe à 21 ans l’âge de la majorité, alors que celle-ci est de 18 ans aux termes de la Convention sur les droits de l’enfant, ratifiée par notre pays ;
  • En matière de nationalité, le code ne prévoit pas les formalités requises pour les déclarations de nationalité. Il ne prévoit pas, non plus, la possibilité pour un mineur de 16 ans de réclamer la nationalité guinéenne sans l’autorisation préalable de son père ou de sa mère qui assure sa garde et, à défaut, de son tuteur après avis conforme du conseil de famille.

Toujours en matière de nationalité, le code ne prend pas en compte, au titre des conditions requises pour acquérir la nationalité guinéenne, une chose pourtant essentielle, à savoir : l’assimilation de l’intéressé à la communauté guinéenne, notamment par une connaissance suffisante de l’une des langues nationales au moins et de la culture de la société guinéenne, par exemple.

Curieusement, il dispose que les maladies graves constituent un obstacle à l’acquisition de la nationalité guinéenne comme si les personnes atteintes de telles maladies ne méritent aucune compassion ;

  • Par rapport à l’exercice d’une profession séparée, le code prévoit que le mari seul peut exercer librement, par exemple, le commerce ; quant à la femme, il faudra l’autorisation préalable du mari ;
  • Par rapport au divorce, le code prévoit que le mari peut demander le divorce pour adultère de sa femme, peu importe le lieu de commission de l’adultère, alors que la femme ne peut demander le divorce, pour adultère de son mari, que si celui-ci entretient sa concubine au domicile conjugal ;
  • Par rapport à la garde de l’enfant, le code prévoit qu’en en cas de divorce et jusqu’à l’âge de 7 ans, l’enfant voit sa garde assurée par la mère et, au-delà, par le père, sans considération, par exemple, de l’inconduite notoire de l’un ou de l’autre époux ; ce qui manifestement ne prend pas en compte les intérêts supérieurs de l’enfant ;
  • En matière successorale, le code fait une distinction, entre les héritiers, fondée sur le sexe, l’âge et l’absence en prévoyant qu’à l’occasion du partage de la masse héréditaire, il est attribué aux femmes, aux mineurs et aux absents des soultes.

Le code prévoit, en outre, que l’extrême vieillesse est une cause d’ouverture de la succession ; ce qui va à l’encontre du bon sens-même.

Toujours en matière de succession, le code prévoit que la femme sans enfant hérite de son mari prédécédé dans la proportion suivante : chaque période de cinq années de vie commune correspond à un enfant ; ce qui paraît utopique, encore que dans la pratique, cette règle ne semble jamais avoir été appliquée. Curieusement d’ailleurs, le même code prévoit, en outre, que l’ensemble des veuves a droit au 1/8 de la succession, sans préciser s’il s’agit des veuves ayant ou non des enfants.

Il faut, tout de même, reconnaître que les femmes veuves sans enfant sont insuffisamment protégées par le code en ce qu’elles font l’objet, le plus souvent, d’expulsion de la concession familiale au décès de leur mari.

De même, le jugement d’hérédité existe en pratique ; mais il n’a aucune base légale ;

  • En matière de location d’immeuble à usage d’habitation, le code ne protège pas suffisamment les locataires contre les expulsions fantaisistes du propriétaire.
  • En ce qui concerne l’assistance éducative, le code ne prévoit pas cette mesure, même si la santé, la sécurité et l’éducation de l’enfant sont compromises en raison du comportement peu vertueux des parents.

Outre de mauvaises formulations de certaines de ses dispositions et au-delà des griefs énumérés ci-dessus, le Code civil en vigueur n’est pas très à jour en ce qu’il ne prévoit pas, par exemple :

  • la déchéance et le retrait partiel de l’autorité parentale, notamment en cas de participation de la personne qui assure la garde de l’enfant à la commission d’un crime ;
  • l’assistance éducative aux mineurs dont la santé, la sécurité et la moralité sont compromises au sein de la famille ;

-l’écrit électronique comme moyen de preuve.

En plus, il traite très insuffisamment notamment les contrats générateurs de personnes morales, telles que la société civile, la société civile professionnelle et les associations, et il ne protège pas suffisamment notamment les biens immeubles appartenant à l’Etat ou à ses démembrements contre les spoliations organisées par des cadres peu scrupuleux de l’Administration.

 

III- Démarche stratégique

Pour corriger les lacunes relevées à l’encontre de nos textes normatifs dans leur ensemble, la Politique nationale de réforme de la Justice a consacré l’un de ses axes d’intervention à l’accès au droit et à la Justice.

Il est à noter qu’au nombre des orientations stratégiques de cet axe d’intervention, figure l’adaptation du droit à l’évolution sociale par la modernisation et la simplification de l’arsenal juridique.

C’est justement dans le cadre de la mise en œuvre de ce volet relatif à la modernisation et la simplification de l’arsenal juridique que le ministère de la Justice, en partenariat avec le ministère de l’Action sociale, de la Promotion féminine et de l’Enfance et avec l’appui de partenaires techniques et financiers, a mis en place une nouvelle Commission nationale de révision notamment du Code civil.

Cette commission qui comprend des représentants de la famille judiciaire, des ministères de la Défense, de la Sécurité, des Droits de l’Homme et de l’Action sociale, de la Promotion féminine et de l’Enfance, des organisations de la société civile et des Partenaires techniques et financiers, s’est retrouvée dans des travaux d’atelier.

Au regard du nombre et de l’importance des lacunes signalées plus haut, la commission a estimé que de simples modifications des dispositions de certains articles du code en vigueur ne pouvait suffire et qu’il fallait donc une refonte totale du texte, c’est-à-dire un nouveau code.

A cet effet, l’avant- projet de Code civil élaboré par la commission, puis validé par le Gouvernement et à présent soumis aux honorables députés pour adoption, comprend 1635 articles contre seulement 1189 pour le code en vigueur, soit 446 articles supplémentaires.

A cet égard, il convient de souligner que le maintien, par les rédacteurs du projet de code, des dispositions relatives à l’interdiction de la polygamie, explique principalement le retard mis dans la transmission de ce projet de code à l’Assemblée nationale.

A présent, cet obstacle n’existe plus en ce que le projet de texte adopté par le Gouvernement et transmis à l’Assemblée nationale prévoit bien le statuquo sur les dispositions du code en vigueur relatives notamment à l’interdiction de la polygamie. Mais au niveau des commissions parlementaires, ainsi que l’a précisé Monsieur le Président de la Commission des lois, il est plutôt proposé la possibilité pour les époux de choisir, au moment de la célébration du mariage, entre la monogamie et la polygamie limitée à quatre femmes.

Le motif invoqué à cet effet, ce sont les us et coutumes du pays, mais aussi les dispositions de l’article 7 de la Constitution aux termes desquelles « Chacun est libre de croire, de penser et de professer sa foi religieuse, ses opinions politiques et philosophiques ». En tout état de cause, l’Assemblée nationale est souveraine.

 

III- Structure du projet de texte

Honorables députés, le projet de code qui vous est soumis est articulé autour de cinq livres et se présente comme suit :

– Des dispositions préliminaires ;

– Livre I : Des personnes ;

– Livre II : Des régimes matrimoniaux, des successions et des libéralités ;

– Livre III : Des biens

– Livre IV : Des obligations

– Livre V : Des principaux contrats et actes usuels ;

– Des dispositions finales.

Conclusion

Honorables députés,

Mesdames et messieurs,

De ce qui précède, il s’agit d’un outil précieux qui est soumis à l’appréciation des honorables députés.

Je saisis donc cette occasion pour remercier très sincèrement les représentants des pouvoirs publics et de la société civile, ainsi que les experts et les partenaires techniques et financiers pour leur appui à l’élaboration du présent projet de Code civil.

En même temps, honorables députés ici présents, je vous exhorte à faire œuvre utile en adoptant à l’unanimité le projet de texte qui vous est à présent soumis. Ce faisant, vous pourrez – une fois de plus – légitimement être fiers d’avoir été ceux qui, après dix-huit longues années de travail technique pratiquement ininterrompu, ont finalement adopté et mis ce précieux outil à la disposition de nos populations.

 

Je vous remercie.

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